Dans le cadre d’un exercice de recherche sur les impacts de la Covid-19 dans le secteur de l’EMAPE mené par DELVE entre juin et début août 2020, Levin Sources et le projet Zahabu Safi de l'Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) ont réalisé des entretiens téléphoniques et en personne avec les acteurs du secteur dans le Sud Kivu, l’Ituri et le Haut Uélé.
L’analyse ci-dessous inclut les principales observations réalisées au cours de cette étude. Pour de plus amples informations, vous pouvez vous référer au Learning Brief.
- Prix: les prix intérieurs payés pour l'or ont chuté jusqu'à 50% des prix pré-Covid-19, en raison du blocage des routes commerciales, malgré le prix au comptant LBMA relativement élevé de l'or.
- Production: La production sur les sites ASM a diminué ou ralenti de manière significative en raison du manque d'accès aux principaux intrants importés.
- Droits du travail: Il y a eu une résurgence du travail des enfants sur les sites miniers en raison de la fermeture d’écoles dans le cadre de la réponse du gouvernement à la pandémie.
- Santé et sécurité: les communautés ASM sont restées en marge des initiatives de prévention et de lutte contre la Covid-19. Un pourcentage plus élevé de personnes interrogées pense que leur risque d'être infecté est faible, mais que s'ils ont besoin de soins de santé, ils manqueront d'infrastructure et de soutien adéquats.
- Sécurité alimentaire: La réduction des revenus des ménages a eu des effets négatifs sur la disponibilité alimentaire.
- Services: Le soutien a été limité, venant principalement des institutions religieuses et des OSC locales.
RDC et la Covid-19
La République démocratique du Congo, a enregistré jusqu’en date du 13 octobre 2020, un total cumulé de 10.934 cas confirmés de Covid-19 dont 10.306 cas guéris et 281 décès. Les provinces touchées sont entre autres : le Sud Kivu (315 cas confirmés), l’Ituri (166 cas) et le Haut Uélé (88 cas).
En plus de décréter un État d’urgence sanitaire, plusieurs mesures avaient été prises par la RDC pour lutter contre la Covid-19. Pour le secteur minier, des mesures de lutte étaient de :
- Limiter les mesures de confinement aux seules activités non essentielles et maintenir la production industrielle en l’encadrant au maximum pour limiter la contagion ;
- Faciliter l’approvisionnement en intrant et l’évacuation des produits miniers marchands ;
- Ne recourir aux incitations fiscales qu’en cas d’extrême urgence, lorsque le prix baisse en deçà d’un seuil plancher, et cela par le biais d’un moratoire ;
- Encadrer le secteur artisanal, qui emploie une grande partie de la main d’œuvre ;
- Envisager des voies alternatives d’évacuation des produits miniers marchands, en privilégiant, à moyen terme, la voie nationale pour plus de souveraineté.
Comment les acteurs et communautés liés à l’EMAP font face à la Covid-19
En RDC, la limitation des mouvements des populations a constitué la principale stratégie gouvernementale pour lutter contre la Covid-19. Les mesures barrières qui ont marqué la population sont : se laver les mains et porter un masque facial. Rarement la distanciation a été citée parmi les mesures barrières.
Les principaux canaux de communications ont été : la radio, les chansons, et à moindre mesure le service de messagerie Whatsapp, les agents de l’Etat, le personnel médical.
Aux sites miniers, les mesures barrières n’ont pas été appliquées dans la majeure partie des cas. Leur inadaptation au contexte de l’exploitation minière artisanale a été la principale faiblesse. Bien qu’unanime sur l’inaccessibilité localement aux soins appropriés contre la Covid-19, les acteurs de l’Exploitation Minière Artisanale à Petite Échelle (EMAPE) s’estimaient non concerné par le virus car aucun cas positif n’avait été signalé au sein de leur communauté jusqu’au cours de la période de recherche et les risques pour leur contamination étaient très marginaux, estimaient-ils.
Nonobstant l’absence des subventions de l’Etat pour la lutte et la mitigation de l’impact négatif de la Covid-19 dans la communauté EMAPE, l’installation des lave-mains dans certains site est à signaler. Cependant, seuls les visiteurs étaient soumis au lavage de mains. Aussi, le manque d’eau a plus été décrié.
Les mesures de lutte décrétées ont conduit au ralentissement des activités minières artisanales et de petites mines. Cependant, aucune action de mitigation n’a été entreprise par l’Etat. Aussi, l’intervention des ONG a été très timide et globalement absente.
L’impact de la Covid-19 sur le rendement minier
Le rôle entre les hommes et les femmes dans l’organisation du travail n’a pas changé. Le travail de la femme étant réduit aux activités connexes à l’exploitation minière artisanale nonobstant les deux femmes cheffes des puits interviewées au cours de la recherche dans certaines zones, l’accès des femmes aux sites miniers est interdit (cas de certains sites de Mwenga, Fizi/Sud Kivu et Wamba/Haut Uélé). Les règles coutumières sont strictes quant à l’interdiction formelle de la présence des femmes sur les sites.
Un afflux d’enfants sur les sites miniers a été signalé au Sud Kivu et dans le Haut Uélé. Ceci était dû à la fermeture d’écoles et à la quête d’un revenu supplétif pour les ménages.
Sécurité alimentaire diminuée
L’insécurité alimentaire a été signalée dans les communautés dépendantes de l’extérieur en produits vivriers. Les raisons avancées sont notamment :
- La réduction des revenus, consécutive à la baisse du prix de l’Or et de la production ;
- La hausse du prix des produits alimentaires (le prix de la viande a connu une hausse de : 100% à Lugushwa, de 50% à Wamba où 1gr d’Or équivalait à 3,3 kg de viande), etc. ;
- La rareté des produits importés sur le marché notamment suite à la fermeture des frontières conduisant à l’arrêt des activités de petit commerce transfrontalier, principale voie d’approvisionnement des marchés locaux
- La dépréciation de la monnaie (Franc congolais) passant de 1.650FC/$US à 2.000FC/$US.
Marchés / Chaînes d’approvisionnement complexifiés par la Covid-19
Outre la fermeture des frontières, la détérioration de l’état des routes a également été épinglée comme une des causes liées à la Covid-19 puisque les capacités d’intervention de l’Etat pour la réhabilitation des routes étaient fortement réduites par le manque de fonds. L’insécurité a également impacté négativement sur la sécurité alimentaire (cas de Kalehe au Sud Kivu et Djugu en Ituri).
Par ailleurs, la sécurité alimentaire n’a pas été signalée dans les zones dépendantes localement en produits vivriers. C’est le cas de la majorité des territoires de Rungu, Faradje (Haut Uélé), Mahagi (en Ituri) et Shabunda (au Sud Kivu).
Depuis début juillet, le prix de l’Or tend à atteindre celui d’avant la période de Covid-19. Cette révision à la hausse du prix de l’Or (comparativement à mars 2020) a permis aux communautés EMAPE de commencer à faire face de manière positive aux problèmes d’insécurité alimentaire.
La production de l’or a connu une baisse à la suite de problème d’accès aux intrants de première nécessité (notamment qui a connu une hausse variant entre 25 et 200%, et la rareté des matériels de travail venant de l’étranger : bêches, barres à mines, etc) et l’arrêt de financement des travaux aux puits, réduisant ainsi l’engouement des mineurs.
Les acheteurs (négociants) sont restés disponibles mais ont exigé des prix de l’Or réduits jusqu’au moitié. Celle-ci a été justifiée par le manque de débouchés et de liquidité au niveau des comptoirs.
Depuis juillet 2020, le prix de l’Or est en augmentation continuelle. Atteignant le prix de 75$/gr, la Ville de Kamituga a constitué un cas illustratif. En Ituri et dans le Haut Uélé, l’afflux des acheteurs venant de Butembo/Nord Kivu et la disponibilité des liquidités dans les comptoirs en Ouganda ont été à la base de la hausse de prix. Au Sud Kivu, la hausse du prix de l’Or à l’international reste l’argument avancé officiellement. Cependant, officieusement, l’utilisation de l’Or comme monnaie alternative à la rareté des dollars (dans les banques et marché informel) dans un contexte caractérisé par la dépréciation de la monnaie nationale.
La baisse de revenu a impacté négativement sur la capacité des exploitants à assurer la couverture des besoins basiques de leurs ménages et de travaux d’exploitation de leurs puits.
Les exportations ont également connu un ralentissement. Au Sud Kivu, il n’y a pas eu d’exportation de l’Or au cours de la période allant de Mars à Juin 2020. Les comptoirs basés dans cette province acheminent l’Or vers les pays d’exportation dans les bagages à mains portés en cabine des avions. La suspension des vols commerciaux a rendu difficile l’exportation officielle de l’Or. Cependant des cas de sortie clandestine de l’Or à travers des camions de transport des déchets métalliques et autres gros véhicules a été signalé.
Dans le Haut Uélé, il n’y a pas de comptoir officiel et par conséquent, il n’y a pas eu d’exportation. Des Négociants ont acheminé la production de l’Or vers Beni au Nord-Kivu dans les bagages à mains mais également vers l’Ouganda à partir de Aruwa. Les personnes détenant à la fois les pièces d’identité de la RD Congo et de l’Ouganda ont plus été mises à profit pour ce trafic.
En Ituri, des camions transportant du bois, des déchets métalliques et du café auraient facilité le transport clendestin de l’Or vers l’Ouganda. Aussi, des camions citernes de retour en Ouganda, auraient également été mis à profit pour faire sortir clandestinement de l’Or de la RDC. L’exportateur fraudeur se faisait passer pour un aide chauffeur. Depuis mi-mai, des véhicules privés ont recommencé à faire le trafic entre l’Ituri et l’Ouganda, renforçant ainsi la fraude. Aucune exportation officielle n’a été faite en Ituri au cours de la période de Covid-19.
Cette absence d’exportation légale de l’Or a privé les provinces et le Gouvernement Central des recettes minières. Ceci a fait qu’il n’y ait pas financement des projets d’investissement et d’autres dépenses sociales inscrits au budget 2020.
Malgré ses conséquences sociales importantes, la Covid-19 n’a pas eu d’impact direct sur la sécurité humaine. La situation sécuritaire est restée stable dans le Haut Uélé et fluctuante dans le Sud Kivu et l’Ituri en raison de facteurs tierces.
Conclusions
En privant les communautés des mineurs, les provinces et le Gouvernement central de moyens d’action, la Covid-19 s’est tapée la réputation de videuse des poches. Le fait de nier l’existence de la Covid-19 et de l’inadaptation de ses mesures de lutte au secteur minier artisanal n’a pas épargné les mineurs de ses impacts négatifs.
Le développement d’un protocole vivre avec la Covid-19 adapté à l’activité minière artisanale constitue une nécessité pour permettre aux communautés des mineurs, aux provinces et au Gouvernement central de se rattraper.
L’institution d’un fonds d’appui à la mitigation des impacts négatifs de la Covid-19 sur les communautés EMAPE ; ainsi que l’organisation du dépistage et prélèvement de la température des exploitants miniers à l’entrée des sites sont des pistes à explorer.
L'auteur: Safanto Lukendo Bulongo
Safanto Lukendo Bulongo, est détenteur d'une Maîtrise Professionnelle (Bac + 7) en Gestion du Développement de l'Université Lumière de Bujumbura. Il a mené plusieurs recherches sur les questions de traçabilité et de fiscalité dans le secteur minier. Il a animé plusieurs séminaires/ateliers de formations aussi bien au niveau local, national et international.
Il a développé des outils des travail adaptés (en image) à des auditoires à capacité de lecture réduite. C'est entre autres : un Manuel sur la structure et gouvernance de coopérative ; un Guide pour la compréhension du Code Minier de la RDC à l’usage de Coopératives minières et communautés locales; un Guide d’éducation pour l’exploitant minier artisanal (droits et devoirs, fiscalité, coopérative, sécurité de travail et exigences de la CIRGL et OCDE), un Guide d’éducation sur le devoir de diligence pour des chaînes d’approvisionnement responsables en minerais provenant de zones de conflits ou à haut risque. Aussi, Safanto a fait partie de l'équipe des Consultants pour l'élaboration de la "Stratégie de l'or de la CIRGL". Il a joué un rôle actif dans le processus d'élaboration de la méthodologie d'Audit de la CIRGL et a accompagné la réalisation de 3 missions d'Audit tierce partie de CIRGL en RDC.
Safanto est un acteur actif dans les débats de haut niveau sur la Gouvernance minières notamment à l'OCDE.
Co-initiateur de Max Impact asbl, Safanto a été membre du Comité d'audit de la CIRGL, il a été Chargé des Suivi des projets au CPS (Comité Provincial de Suivi des activités minières au sud Kivu, une structure (multi-acteur) qu'il coordonne depuis janvier 2020.
Safanto travaille également comme Consultant en Évaluation des projets depuis 2009. Ce travaille lui a permis de sillonner plusieurs évaluateur des projets.